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L’OPA de Veolia sur Suez, l’ambitieux projet de fusion de deux géants

Dernière mise à jour : 21 janv. 2021



Un peu à la surprise générale, Antoine Frérot, le PDG du groupe Veolia, a annoncé le dimanche 30 août dernier son intention d’acquérir 29,9% du capital de Suez détenu par Engie, et envisage par la suite une OPA sur le reste du capital de Suez. Veolia offre à Engie 2,9 milliards d’euros pour l’acquisition de la quasi-totalité de sa participation dans Suez (29,9% sur 31,7%).

Cette offre, arrivant à expiration le 30 septembre, est pour le moment refusée par Engie qui estime le prix insuffisant pour sa participation dans le groupe français, selon la déclaration du président du Conseil d’administration Jean-Pierre Clamadieu. L’Etat français, qui entre en jeu dans ce dossier puisqu’il est actionnaire d’Engie à hauteur de 23,6%, affiche son soutien quant à la création d’un « champion mondial de la gestion des déchets et des questions environnementales », comme l’évoque le Ministre de l’économie Bruno Le Maire. Ce dernier n’a toutefois pas pris position sur le montant de l’offre proposée, indiquant seulement que « toute offre peut toujours être améliorée ».

Suez, qui, il convient de le rappeler, ne peut empêcher directement la transaction entre Veolia et Engie, se montre hostile à l’offensive de l’entreprise d’Antoine Frérot. Bertrand Camus, PDG de Suez, considère la démarche de Veolia comme « ni amicale et ni pertinente », évoquant par ailleurs des « risques majeurs et des incertitudes fortes, en particulier sur les équipes, les emplois et les activités Eau en France ». De fait, le projet de l’ancienne Compagnie générale des eaux, une fois l’opération financière achevée, est de céder l’activité eau de Suez – filiale Osis - au fonds d’investissement français Meridiam. Suez tente ainsi de repousser l’offensive de Veolia en cherchant un « cheval blanc » pour reprendre la participation d’Engie. Ardian et Antin Infrastructure Partners, deux fonds d’investissement français, sont mentionnés pour concurrencer Veolia sur ce dossier.

Cet ambitieux projet de fusion, qui se montre assez clivant, s’inscrit dans un objectif de transition énergétique impératif. Quelques interrogations relatives à cette opération stratégique se posent et nous allons tenter d’y apporter quelques pistes de réflexion.


Pourquoi cette hostilité entre Veolia et Suez ?

Alors qu’un rapprochement des deux groupes pourrait s’avérer intéressant aussi bien d’un point de vue stratégique qu’opérationnel, l’hostilité et la tension qui règnent entre Veolia et Suez peuvent surprendre. Cela s’explique en partie par l’histoire et l’identité de ces deux concurrents historiques.

Suez a toujours souhaité affirmer une certaine indépendance depuis sa création en 1858, date des débuts de la construction du canal de Suez orchestrée par Ferdinand de Lesseps. Le groupe investit dans la distribution d’eau et de gaz et dans la gestion des déchets à partir des années 1960, en devenant l’actionnaire majoritaire de la Société Lyonnaise des Eaux avant de fusionner en 1997. Gérard Mestrallet, président de cette nouvelle entité, acte le recentrage du groupe dans les secteurs de l’énergie et de l’environnement. Suez s’internationalise toujours plus et fait l’acquisition en 2008 de GDF, spécialisé dans la distribution de gaz en France. Toutefois, pour satisfaire les autorités européennes de non-concurrence, le nouveau groupe se voit contraint de séparer ses branches énergie et environnement, respectivement GDF Suez, qui deviendra Engie en 2015, et Suez Environnement, qui retrouvera le nom de Suez la même année. Le départ de Gérard Mestrallet en 2018, qui avait présidé simultanément les conseils d’administration de Suez et d’Engie, marque une ère d’incertitude pour les deux groupes, la participation d’Engie dans Suez, comme symbole fort d’une histoire commune, désormais remise en cause.

Veolia est également un acteur historique de la distribution d’eau et de la gestion des déchets en France depuis 1853. Anciennement Compagnie Générale des Eaux, le groupe se spécialise historiquement dans les délégations de services publics, et se montre moins indépendante de l’Etat que Suez. En 1998, la CGE change son nom en Vivendi, une entreprise qui compte des activités de télécommunication et un pôle environnement. Vivendi Environnement réalise une introduction en bourse en 2000, la maison mère conservant d’abord 70% du capital avant de se désengager progressivement jusqu’en 2006. Veolia, renommée en 2005, se recentre sur l’eau et les services aux collectivités avant qu’Antoine Frérot réoriente la stratégie de l’entreprise vers des secteurs à fort potentiel comme l’économie circulaire et le traitement de la pollution. Le groupe s’associe à plusieurs reprises avec EDF, concurrent d’Engie, notamment pour le rachat de Dalkia et la création de Graphitech, entreprise spécialisée dans le démantèlement de réacteurs nucléaires de technologie graphite.


En analysant l’histoire de Veolia et de Suez, on peut ainsi comprendre pourquoi un rapprochement est mal perçu par le management de Suez et suscite de vives tensions. D’autant que cette opération avait été évoquée plusieurs fois au cours de la dernière décennie. En 2012, cela avait déjà abouti à un blocage et des passes d’armes oratoires.

Une telle fusion peut-elle être acceptée par les autorités de la concurrence ?

Comme en 2012, où la question d’un monopole menaçant la concurrence dans le secteur avait surgi, les autorités de la concurrence auront nécessairement un rôle à jouer dans cette opération. Certaines associations, comme le Front Républicain d’intervention contre la corruption ou l’Association pour le contrat mondial de l’eau ont déjà saisi les deux agences antitrust qui surveillent ce dossier : l’Autorité de la concurrence française et la Commission européenne. Une fusion de Veolia et de Suez permettrait au nouveau groupe de s’approprier 60% du marché français, une part non-négligeable.

L’Autorité de la concurrence française ne semble pas constituer un frein réel à cette opération, dès lors que l’Etat se montre favorable à une concentration industrielle dans ce secteur si stratégique pour la transition énergétique, qui s’avère être un objectif urgent de court terme. Par ailleurs, en regardant les dernières décisions prises par l’Autorité de la concurrence, on constate que celle-ci a davantage sanctionné des politiques de cartels que bloqué des fusions-acquisitions. Seule l’acquisition de SFR par Numericable avait été contestée, le groupe de Patrick Drahi écopant a posteriori d’une amende symbolique de 80 millions d’euros.

La Commission Européenne peut s’avérer en revanche plus problématique pour de telles fusions. Celle-ci a déjà bloqué plusieurs opérations de cette envergure dans différents secteurs économiques. Parmi les plus célèbres on peut citer les échecs des fusions entre Volvo et Scania en 2000, Schneider et Legrand en 2002 ou O2 et Three il y a quelques mois en 2020. L’article 2-3 du règlement de 2004 sur la protection de la concurrence européenne précise que : « sont incompatibles avec le marché commun les concentrations qui entraveraient de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante ». Une fusion de Veolia et de Suez permettrait au nouveau groupe de détenir 5% du marché mondial, un terme de « géant » à relativiser donc. En outre, empêcher une fusion entre deux acteurs de la distribution d’eau et traitement des déchets, serait assez paradoxal avec l’image de leader du développement durable et de la croissance verte que souhaite afficher l’Union Européenne.

Quoiqu’il en soit, Veolia se prémunit déjà face à la menace des autorités de la concurrence en promettant la vente d’Osis, l’activité eau de Suez. La somme de 800 millions d’euros est évoquée pour la cession de la filiale au fonds d’investissement Meridiam.

Une fusion pour quelles synergies ?

Cette fusion s’inscrit dans une logique stratégique très cohérente. En effet, les deux sociétés présentent des caractéristiques géographiques et opérationnelles très similaires. Suez est le numéro deux européen dans la collecte et le traitement des déchets (6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, équivalent à 35,9% de son activité) et dans la distribution d’eau et le traitement des eaux usées (4,6 milliards d’euros de revenus en 2019, équivalent à 25,7% de son activité). Veolia occupe la première place mondiale dans les prestations de service de propreté (10,2 milliards d’euros en 2019, équivalent à 37,4% de son activité) et dans les prestations de services liés à l’eau (11,1 milliards d’euros en 2019, équivalent à 41% de son activité). Une fusion des deux groupes porterait le chiffre d’affaires à plus de 40 milliards d’euros. La France constitue le premier marché pour Suez et Veolia, respectivement 28,2% et 20,6% du chiffre d’affaires total.

Les synergies résultant de cette fusion prendraient la forme d’économie de coûts (davantage de stations d’épuration et de traitement de déchets qui réduiront les coûts de transports notamment) et de nouveaux revenus dans la mesure où les deux entreprises cesseront de se concurrencer et élargiront leur offre. Les synergies de coûts espérées par ce projet de fusion s’élèvent à 500 millions d’euros, un chiffre dont doutent les dirigeants de Suez.

Le groupe Suez est-il sous-valorisé par Veolia ?

Veolia propose 2,9 milliards d’euros pour la participation de 29,9% d’Engie dans Suez, soit 15,50 euros par action, c’est-à-dire une prime de 26,6% par rapport au cours de clôture de l’action Suez avant l’annonce. Une telle opération valoriserait la cible Suez à 9,74 milliards d’euros. Les synergies obtenues par cette fusion seraient donc évaluées à 2,05 milliards d’euros.

En considérant les 500 millions d’euros de synergies opérationnelles espérées par Veolia pour cette opération, c’est-à-dire environ 350 millions d’euros de résultat après impôts, on obtiendrait un multiple de valorisation des synergies égal à 5,9x. A titre de comparaison, le PER moyen de Suez sur les 3 dernières années est de 28,2 et celui de Veolia 28,5. Ainsi, à la lumière des niveaux de valorisation historique de ces deux entreprises, le prix proposé par Veolia semble en effet assez faible.

On peut donc comprendre pourquoi Engie et Suez considèrent que l’offre du groupe d’Antoine Frérot n’est pas suffisante. Le caractère hostile du deal et l’arrivée d’un « cheval blanc » en présence des fonds d’investissement nommés plus haut devrait laisser peu de marge à la négociation pour Veolia.

Comment Veolia pourrait-il financer une acquisition à 100% de Suez ?

La société s’est imposée comme objectif une limitation de son ratio d’endettement net à 3x son EBITDA. En excluant les synergies et en prenant l’hypothèse de l’acquisition en cash de 100% des actions de Suez au prix de 15,50€ par action, le ratio d’endettement devrait atteindre selon nos estimations 4,5x. Une OPE étant assez peu probable compte-tenu de la rivalité entre les deux groupes, la réduction de l’endettement passerait nécessairement par une émission d’actions nouvelles. Nous estimons qu’une augmentation de capital de 10 milliards d’euros pourrait permettre de ne pas dépasser ce niveau d’endettement fixé par le groupe.


Author: Alexis Bernet

Contact: alexis.bernet@hec.edu

Date: 12-Sept-2020

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